Décortiquer la technologie pour mieux la comprendre
Par Maurizio Arseni (katametron.org)
Katametron est un organisme à but non lucratif récemment fondé à Genève qui déballe, évalue l'impact sur les communautés et propose des améliorations aux Technologies Socialement Durables (Socially Sustainable Technologies). Katametron est l’une des six Résidences éphémères du FacLab, un statut qui concerne des projets de collaboration impliquant nécessairement un porteur interne (académique) et externe (association, startup, etc.). Pour les besoins de la collaboration, les résidences bénéficient d’un hébergement minimum, soit une chaise, une table et l’accès aux capacités du FacLab.
Avant d'être invité par un ami à prendre un café au FacLab en 2019, je pensais que les cours intérieures étaient les seuls secrets bien gardés de Carouge. Eh bien, je me trompais…
Caché dans la végétation luxuriante du Parc Battelle, au rez-de-chaussée de l'ancien bâtiment industriel néo-rationaliste du Centre Universitaire d’Informatique de l'Université de Genève, le FacLab s'est révélé à moi comme une version contemporaine d'une cour avec un twist : un espace où l'échange de connaissances et d'expériences avec des personnes de tout horizon apporte de nouvelles idées et mène éventuellement à de nouveaux projets.
Le FacLab se présente comme un espace pour les makers où les gens peuvent rapidement prototyper leurs idées. Utilisant des imprimantes 3D, des découpeuses laser (la fabrique du tangible) et d'autres outils qui rendraient l'Inspecteur Gadgets plus curieux que moi, ils offrent néanmoins aux non-makers dont je fais partie la possibilité de lancer ou de contribuer à des projets (par exemple avec la “fabrique de l'intangible”).
Le premier projet auquel j'ai participé était MyData Geneva, une organisation visant à promouvoir une utilisation éthique des données personnelles par le biais de solutions centrées sur l'humain en matière de confidentialité et de contrôle des données. Tout l'enthousiasme et les échanges nourrissants que j'ai connus depuis que j'ai commencé à contribuer à cette initiative ont connu une longue pause à cause de Covid, mais m'ont aussi donné le temps de mettre en place un nouveau projet.
Dès les premières vagues de Covid, nous avons tous été témoins de la façon dont les technologies numériques étaient exploitées pour soutenir la réponse de santé publique au COVID-19 dans le monde entier, notamment la surveillance de la population, l'identification des cas, la recherche des contacts et l'évaluation des interventions basées sur les données de mobilité et la communication avec le public.
Nous avons tous immédiatement réalisé à quel point les innovations numériques pour la réponse de la santé publique au COVID-19 dans le monde avaient des limites et des obstacles importants à leur mise en œuvre, notamment des obstacles juridiques, éthiques et de confidentialité, ainsi que des obstacles organisationnels et de main-d'œuvre.
Mais que se serait-il passé si l'une ou l'autre des technologies mentionnées ci-dessus avait fait l'objet de tests en bac à sable pour déterminer son efficacité et ses éventuels effets indésirables avant d'être mise en œuvre à grande échelle ? Qu'est-ce qui rend une technologie socialement durable ?
Ce sont quelques-unes des questions auxquelles nous tenterons de répondre avec Katametron et nos partenaires.
Avec Alexandre Gregoris, étudiant au Centre Universitaire d'Informatique, Emmanuel Kellner, doctorant à l'Université de Genève, Renaud Fargas du Swatch Group et Maria Cannovale, économiste et Human Rights fellow à la Harvard Kennedy School of Government, avec les précieux conseils du Prof. Morin, nous avons créé Katametron, une association à but non lucratif hébergée par le Faclab, dont l'objectif est de promouvoir une innovation et une réglementation responsables des technologies émergentes, en garantissant l'existence de mesures de protection et d'atténuation des risques appropriées, par le biais de tests ex ante, de la gestion des risques et de la surveillance humaine des technologies, afin d'éviter toute violation des droits fondamentaux.
Pour notre premier projet, nous nous sommes associés à The Toilet Board Coalition et à l'Université Notre Dame pour évaluer comment les Smart Sanitation Technologies (SST) peuvent améliorer l'accès à l'assainissement tout en soutenant le suivi de la santé publique au niveau communautaire (surveillance des maladies) et individuel (diagnostics).
Notre projet vise à souligner les compromis impliqués dans le déploiement des SST à des fins de santé publique. Il explore les solutions politiques permettant de maximiser les avantages en matière de santé publique tout en minimisant l'impact sur la vie privée et les droits de l'homme des populations concernées, en examinant les domaines suivants : santé publique, social/économique, éthique/droits de l'homme et vie privée.
Ce premier projet comprend les étapes suivantes et sera un moyen pratique de tester notre méthodologie:
une revue de l'état de l'art des innovations en matière de technologies d'assainissement intelligentes (Smart Sanitation Technologies, SST) appliquées au suivi de la santé des populations, avec une description technique détaillée de chaque application;
une consultation multipartite à travers le réseau des membres de la Toilet Board Coalition, y compris ceux qui opèrent dans le domaine de l'assainissement, afin d'analyser le potentiel de ces technologies pour informer l'élaboration de politiques fondées sur des preuves;
la réalisation d'enquêtes pour connaître les priorités, les motivations et les défis des utilisateurs afin de comprendre les niveaux de confort pour l'adoption des SST;
en collaboration avec des experts en éthique, en gouvernance mondiale et en santé numérique, élaborer un ensemble de lignes directrices permettant de vérifier ex ante l'efficacité des SST par le biais d'expériences dans un environnement de bac à sable;
tout au long de cette phase pilote, le groupe de consultation continuera à se réunir tous les trimestres pour examiner les expériences des prestataires de services, des membres de la communauté et des dirigeants dans la mise en œuvre des lignes directrices de travail;
les conclusions et les recommandations seront publiées dans un rapport final et dans une publication à l’attention du grand public.
Si cette méthodologie s'avère fructueuse, nous envisageons de l'appliquer à d'autres technologies, en nous concentrant sur les frontiers technology (en français les “technologies de pointe”).
L'objectif final de ce travail est d'avoir une vue d'ensemble des technologies socialement durables et, avec les étudiants, les innovateurs et les décideurs de la Genève internationale, d'évaluer jusqu'où le techno-solutionnisme est allé dans certains cas. En outre, il s'agit de comprendre la "quantité juste" (Katametron, en grec ancien) de technologie nécessaire et de données collectées pour favoriser le progrès et le bien-être d'une communauté.
Nous puisons dans l'intelligence collective et l'expertise du FacLab et de la communauté étudiante de l'Université du CUI pour être en mesure de décortiquer, piloter et peut-être suggérer des améliorations à ces technologies.
Certaines d'entre elles pourront même être prototypées à l'aide d'une imprimante 3D. Et cela ne sera plus un problème. Je me tournerai rapidement vers mes camarades du FacLab, la startup Beekee aussi résidente du FacLab ou David et Daniel, qui peuvent faire des merveilles avec ces nouvelles capacités de fabrication.